Le marteau de saint Éloi

Le marteau de saint Éloi

Jean-Louis Ragot

Chassé du calendrier il y a peu, saint Éloi était fêté le 1er décembre. “A la Saint Éloi, la nuit l’emporte sur le jour qui luit.” Avant de devenir prêtre, saint Éloi avait été maréchal-ferrant puis orfèvre et monétaire. Il aurait fabriqué le trône du roi Dagobert. Saint Éloi est, entre autres, le patron des forgerons et des orfèvres, des chevaux, des ânes et des mulets. Sa fête est celle des corporations liées aux métaux et au chevaux. Le prêtre bénissait ces animaux, ainsi que les forges avec un marteau. Saint Éloi n’est pas sans rappeler le dieu-forgeron celte Sukellos. Symboliquement, l’hiver est représenté «par une salamandre, un canard sauvage, des flammes dans un foyer», il est consacré «à Héphaïstos, le dieu des arts du feu et des métaux (1).» Le feu est particulièrement à l’honneur à Noël. Le mois de décembre commence à la saint Éloi qui est la «survivance du culte d’un dieu forgeron.[…] . Il était le protecteur des chevaux qu’il était d’usage de mener en pèlerinage aux chapelles de saint Éloi, enguirlandés et pavoisés avec de petits drapelets de forme triangulaire attachés à leur collier. Le clergé participait à cheval à cette procession : il bénissait les chevaux avec le marteau de saint Éloi (2)» Ce marteau peut faire penser à celui du dieu forgeron celte : Sukellos, divinité chthonienne de la fertilité. Le forgeron travaille à la transformation des métaux. Dans la mythologie grecque, Héphaïstos forge la foudre de Zeus. Chez les Scandinaves les nains forgent le marteau de Thor. Le symbolisme du marteau ou de la hache est relié à celui de la foudre. Outil cosmogonique et créateur, le marteau-foudre symbolise l’action créatrice divine. Exerçant un métier initiatique et craint par le peuple, le forgeron travaillait à l’écart du village (c’est encore en vigueur dans certains pays d’Afrique), car il participait symboliquement à l’œuvre de la création divine en travaillant une matière souterraine et donc infernale. Dans la mythologie, les forgerons, gardiens des trésors cachés dans la terre ont souvent un aspect monstrueux. Car la forge est en relation avec le feu souterrain et infernal. Ils étaient donc considérées comme des magiciens et des sorciers. L’homme ayant été frappé par la foudre va au ciel, mais s’il survit il est considéré comme un sorcier ou un élu des dieux (3) (la foudre féconde les mystiques et les devins). Il est mis tabou. On ne mange pas les animaux foudroyés. Les lieux frappés par la foudre sont sacrés.Le marteau associe la force vitale à l’activité créatrice. Le mouvement de haut en bas s’apparente à l’activité céleste cosmogonique. Le maillet du dieu celte Sukellos représente la puissance créatrice et ordonnante des dieux. Sukellos, dieu au maillet est surnommé « le bon frappeur », il était considéré comme le maître de la vie et de la mort, mort après laquelle il assurait le passage dans l’Autre Monde. Dans le domaine celtique, la foudre est représentée doublement par le nom du dieu Taranis et par le maillet de Sukellos. En Irlande, l’équivalent de ce maillet est la massue du Dagda qui tue par un bout et ressuscite par l’autre, symbolisant ainsi le pouvoir créateur et destructeur de la divinité. Le dieu scandinave Thor n’est pas forgeron, mais son arme est Mjölnir, un marteau qui représente la foudre (élément feu), capable de détruire et de régénérer. Le marteau Mjölnir est célèbre dans la mythologie nordique. Ce « marteau à manche court et qui a la propriété de revenir dans la main de qui l’a lancé, c’est la foudre. Thor est le dieu du tonnerre, comme Indra avec son vajra ou Mitra et son vazra (4).» La foudre est l’attribut de Zeus, d’Indra ou de Thor suivant les mythologies. Feu céleste, elle représente la toute puissance ouranienne, le pouvoir créateur (ou destructeur) de la divinité. Le marteau de Thor, tout comme la hache de pierre de Rama, symbolise la foudre qui fend la terre. Il est un symbole de protection contre les forces obscures et existe sous forme de pendentif encore très porté dans les pays scandinaves. Le symbolisme du marteau/foudre dont saint Éloi a hérité lors de la christianisation nous relie à celui de la roue brisée par la foudre dans la légende de sainte Catherine (voir mon article du 25 novembre). Cela représente l’interruption de la rotation du temps pendant la période solsticiale, intervalle de repos où il était interdit de faire tourner les roues.

Jean-Louis Ragot

Calendrier traditionnel

1 J. CHEVALIER et A. GHEERBRANT, Dictionnaire des symboles, p. 842.2 L. REAU, Iconographie de l’art chrétien., pp. 423-424.3 D’ailleurs le prénom d’Éloi vient du latin Electus qui signifie « élu »(de Dieu)4 R. BOYER, ibid, p. 422.

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