Les anges dans la tradition chrétienne

Parmi tous les auteurs chrétiens, le pseudo Denys demeure sans doute l’auteur du traité le plus complet au sujet des anges et de leur fonctions spécifiques. Or il y affirme précisément l’existence d’une hiérarchie céleste dont la fonction ultime est d’amener l’homme à s’engager sur une voie de participation de plus en plus étroite à la nature même de Dieu, établissant ainsi une union plus intime avec Lui. En effet, il écrit que la hiérarchie est, selon lui, « un ordre sacré, une science, une activité s’assimilant, autant que possible, à la déiformité et, selon les illuminations dont Dieu lui a fait don, s’élevant à la mesure de ses forces vers l’imitation de Dieu, – et si la Beauté convient à Dieu, étant simple, bonne, principe de toute initiation, est entièrement pure de toutes dissemblance. Elle fait participer chacun, selon sa valeur, à la lumière qui est en Elle et Elle le parfait dans une très divine initiation en façonnant harmonieusement les initiés à l’immuable ressemblance de sa propre forme. Le but de la hiérarchie est donc, dans la mesure du possible, une assimilation et union à Dieu, car c’est Dieu même qu’elle prend comme maître de toute science et de toute activité saintes et, ne quittant point du regard sa très divine beauté et recevant la marque de son empreinte autant qu’elle peut, elle fait aussi de ses propres sectateurs des images accomplies de Dieu, des miroirs parfaitement transparents et sans tâche, aptes à recueillir le rayon primordialement lumineux de la Théarchie, et saintement comblés de l’éclat dont il leur a été fait don, illuminateurs à leur tour, en toute générosité, des êtes qui viennent après eux, selon les prescriptions de la Théarchie. ». (1)

De manière plus précise encore, il distingue parmi les « ministres de l’initiation perfective », formant la hiérarchie céleste, neuf chœurs angéliques qui se répartissent comme suit : les Séraphins, les Chérubins, les Trônes, les Dominations, les Vertus, les Puissances, les Principautés, les Archanges et les Anges. Puis il ordonne ces neuf chœurs angéliques en trois formations ternaires distinctes. Ainsi, dans leur totalité, la Parole désigne les essences célestes par neuf noms révélateurs : notre initiateur divin les divise en trois propositions ternaires. Il dit que la première est celle qui et toujours auprès de Dieu et dont la tradition rapporte qu’elle est immédiatement unie à Lui, avec les autres et sans intermédiaires, – la seconde, dit-il, est celle qui se compose des Puissances, des Dominations et des Vertus, – et la troisième, comprenant les dernières des hiérarchies célestes, est  la disposition des que constituent les Anges, les Archanges et les Principautés.

Nous obtenons donc le tableau suivant :

Les trois triades angéliques

Première triadeSeconde triadeTroisième triade
1. Séraphins4. Dominations7. Principautés
2. Chérubins5. Vertus8. Archanges
3. Trônes6. Puissances9. Anges

Soulignons toutefois que les neuf ordres angéliques retenus par cet auteur étaient déjà fort bien connus avant lui. Il n’a donc pas innové en ce sens. En effet, saint Grégoire de Naziance énumère déjà une série de termes où figurent sept des dénominations dionysiennes : « Tu vois à quel point ce sujet donne le vertige et que nous ne pouvons y faire d’autres progrès que de savoir qu’il y a des anges, des archanges, des trônes, des dominations, des principautés, des puissances, des splendeurs, des ascensions, des vertus intellectuelles ou des intelligences, des natures pures et sans altérations…. ». Saint Cyrille de Jérusalem présente, quand à lui, la série complète et exclusive des neuf dénominations cités par Denys : « Anges, archanges, vertus, dominations, principautés, puissances, trônes, chérubins, séraphins. ». Seuls quatre termes intermédiaires (vertus, dominations, principautés, puissances) sont donnés dans un ordre différent. Saint Jean Chrisothome reprendra également les mêmes noms que ceux choisis par saint Cyrille de Jérusalem en attribuant toutefois aux trônes une place différente : « Anges, archanges, vertus, trônes, dominations, principautés, puissances, chérubins, séraphins. ».

Le caractère novateur de l’œuvre de Denys est cependant d’avoir établi une ordonnance interne de l’univers angélique jusqu’alors très mal assurée et totalement dépourvue de loi systématique chez les auteurs chrétiens. En outre il précisa pour la première fois les fonctions de chacun des chœurs angéliques. A ce titre, nous pourrions d’ailleurs nous interroger sur la source à laquelle il s’inspira pour écrire son œuvre. En fait, l’univers angélique dionysien trouve très certainement sa source chez certains auteurs néo-platoniciens dont la philosophie domina le monde païen jusqu’au milieu du troisième siècles après Jésus-Christ. Ils recherchaient en réalité « une philosophie grecque complète, qui incorporerait au platonisme le meilleur d’Aristote, de Pythagore et de stoïciens, pour en faire une synthèse de la sagesse du monde ancien. Mais le néo-platonisme n’était pas seulement une philosophie; il répondait aussi à un besoin religieux en montrant comment l’âme individuelle pouvait atteindre Dieu. Il présentait ainsi, dans un cadre rationnel grec de type traditionnel, un schéma de salut comparable à ceux que proposaient les christianisme et les religions à mystères. ». (2)

Au cours du quatrième siècle, le néo-platonisme devint donc la croyance païenne la plus répandue. Il était même enseigné partout, bien que ses centres intellectuels se trouvassent à Athènes et à Alexandrie. Parmi les néo-platoniciens latins, Macrobe fut certainement l’un des plus influents sur les penseurs chrétiens, en particulier sur saint Augustin. Toutefois, avec l’expansion du christianisme, le néo-platonisme recula progressivement. Son enseignement fut d’ailleurs interrompu à Athènes sur ordre de Justinien en 529, se poursuivant cependant à Alexandrie jusqu’à la fin du sixième siècle. Proclus fut le dernier néoplatonicien important à enseigner à Athènes. Comme beaucoup de ces survivants du néo-platonisme, ses travaux accordaient une part important à la démonologie, présentant une hiérarchie complète de bons et de mauvais démons qui emplissaient l’univers, faisant en outre l’objet de rituels mi-religieux, mi-magiques.

Or « on aura déjà remarqué que, dans sa structure comme dans ses fonctions, cet univers intelligible de Proclus est à peu près exactement celui de Denys. Trois triades de trois ordres de part et d’autres : d’un côté on se réfère à la mythologie païenne que ces cadres mêmes expliquent et ordonnent; de l’autre, on soumet les puissances angéliques de la Bible aux mêmes normes explicatives et aux même types de hiérarchisation. Ainsi, Denys à certainement voulu présenter un univers intelligible aussi « construit », aussi cohérent et aussi riche que celui des dernières néo-platoniciens; un univers où puissent s’accorder et coïncider, aussi facilement que chez ses rivaux païens, une conception rigoureusement triadiques du mouvement et des fonctions de l’intelligence en acte de divinisation, d’une part, et, de l’autre, une présentation exhaustive, également triadique et hiérarchisée, de l’ensemble des puissances angéliques mentionnées par l’Écriture et proposées par la tradition de l’Église.

De même, « la présentation des traités, les formules d’introduction, de transition ou de conclusion, la manière de citer ou de qualifier les autorités alléguées, les doctrines du Beau, du Bien, de l’Amour, de la connaissance de Dieu et des anges, de la Providence, de l’action et de la justice divine, la vision et la structure de l’univers spirituels, la notion de prière, les étapes et les aspects de la vie contemplative, l’unification et la divinisation de l’intelligence, l’ensemble symbolique ou allégorique qui illustre ces divers enseignements : tous ces points rapprochent singulièrement Denys des derniers néo-platoniciens… Comme eux d’ailleurs, très souvent dans les mêmes termes bien que dans des contextes doctrinaux différents, il recourt volontiers au langage mystérique : tradition orale des secrets qui divinisent, mystagogie; initiation perfective; exclusion rigoureuse des non-initiés qui, comme tels, sont incurablement condamnés à l’inintelligence; silence et repos propres à l’état mystique qui nous unie à l’Un. ».

La Hiérarchie céleste s’inspire donc vraisemblablement des écrits de Proclus, ayant été retravaillés et christianisés, peu après sa mort, par un personnage inconnu qui, sous le pseudonyme de Denys l’Aéropagite (lequel, quatre siècles plut tôt, avait été converti par l’apôtre Paul 3) cherchait à réaliser une synthèse du néo-platonisme et du dogme chrétien. Ceci n’enlève évidemment rien à l’intérêt de l’œuvre. Au contraire, les écrits du pseudo Denys furent commentés, dans l’Église, par toute une série d’éminents théologiens. Ils furent également traduits en latin par Scot Erigène au neuvième siècle et devinrent l’une des bases de la théologie médiévale, après les écrits de saint Augustin. Nous utiliserons donc cette source afin de présenter brièvement les neuf chœurs angéliques tels qu’ils ont été perçus à travers la pensée chrétienne.

Pour en savoir plus sur chaque chœur angélique, veuillez cliquer sur les hyperliens compris dans ce tableau qui présentent les chœurs angéliques et leurs principales fonctions dans la tradition dionysienne (Denys l’Aéropagitte) :

Chœurs angéliquesFonctions
Les SéraphinsConsumer toute impureté pour se conformer pleinement à Dieu et se porter vers Lui avec amour, dans un élan de parfaite générosité.
Les ChérubinsContempler Dieu, Le connaître, et transmettre l’indicible lumière d cette connaissance divine aux autres créatures.
Les TrônesSe maintenir avec force, de manière inébranlable et bien ordonné, autour de Dieu, devenant ainsi le siège de son expression.
Les DominationsRégir en véritable maître, se comportant conformément aux qualités du seul vrai Maître (Dieu), sans bassesse ni tyrannie.
Les VertusAgir avec vigueur et courage, de manière virile et inflexible, sans débilité, mollesse ni faiblesse, dans l’imitation de Dieu.
Les PuissancesExercer sa puissance de manière ordonnée, sans abus malfaisant, avec générosité, bienveillance et bonté, élevant les autres créatures vers Dieu.
Les PrincipautésS’ouvrir à l’harmonie divine (ce « principe ordonnateur suressentiel »), l’incarner et la révéler au sein du créé.
Les ArchangesMaintenir l’harmonie et transmettre les illuminations divines.
Les AngesIntroduire les hommes dans les mystères divins, leur communiquant les illuminations divines appropriées.

(1) Denys l’Aéropagite, La Hiérarchie Céleste.

(2) Dictionnaire de l’Antiquité. Université d’Oxford. Robert Laffont

(3) « Quelques hommes cependant s’attachèrent à lui et embrassèrent la foi. Denys l’Aéropagite fut du nombre. » (Actes XVII,34)

Source : Extraits de l’Introduction à l’astro-angéologie, conférence donnée par Charles-Rafaël Payeur. Éditions de l’Aigle

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