L’AVE MARIA, prière initiatique

A l’école de l’Amour avec Marie

D’après une conférence de Charles-Rafaël Payeur, parue aux éditions de l’Aigle

Cette étude de l’Ave Maria a pour but de découvrir en quoi cette prière est l’incarnation même d’un chemin de croissance psychospirituelle, un chemin au cœur de la démarche initiatique qui nous est proposé par la grande tradition judéo-chrétienne et qui peut être considéré comme une véritable école de l’Amour, Marie étant sans doute, comme nous le verrons, la créature qui sut vivre l’amour de la manière la plus parfaite.

  1. Séance I
    1. Considérations générales sur l’Ave Maria.
    2. Le nom de Marie
    3. La prière. Première partie
      1. Réjouis-toi Marie…
      2.  Comblée de grâce…
      3. Le Seigneur est avec toi…
      4. Tu es bénie entre toutes les femmes…
      5. Et béni est le fruit de ton ventre, Jésus.
  2. Séance II
    1. Considérations générales
    2. La prière, deuxième partie
      1. Sainte Marie
      2. Mère de Dieu
      3. Prie pour nous…
      4. Pécheurs…
      5. Maintenant et à l’heure de notre mort
      6. Amen
  3. Voir aussi

Séance I

Considérations générales sur l’Ave Maria.

Jusqu’au quinzième siècle, on ne récitait que la première partie de l’Ave Maria : Ave Maria, gratia plena, Dominus tecum, benedicta tu in mulieribus, et benedictus fructus ventris tui, Jesus. (Je te salue Marie pleine de grâce, le Seigneur est avec toi, tu es bénie entre toutes les femmes et béni est le fruit de ton ventre, Jésus), des paroles qui étaient tirées de la salutation de l’Ange à Marie, au moment de l’annonciation (« Réjouis-toi, comblée de grâce, le Seigneur est avec toi…. » Luc I,28) et de celle d’Elisabeth, sa cousine, lorsque celle-ci la reçut chez elle au moment de la visitation ( » Bénie es-tu entre les femmes et béni le fruit de ton ventre » Luc I,42). Les implorations suivantes : « Sainte Marie, mère de Dieu,  priez pour nous pauvres pécheurs maintenant et à l’heure de notre mort » ont donc été ajoutées plus tard, au quinzième et seizième siècles.

Il est dès lors possible et intéressant de dire uniquement cette première partie, cela pour deux raisons : la première étant d’ordre historique car nous permettant de remonter aux sources et de nous inscrire dans la pratique médiévale de cet âge d’or de la prière mariale qui est le XIIIe siècle et qui a vu l’essor de la prière du rosaire, instituée par saint Dominique. Nous pouvons ainsi prier l’Ave Maria dit primitif, comme les anciens, d’abord en lui-même puis ensuite dans le cadre du rosaire qui nous permettra de méditer sur les quinze mystères de l’évangile. Puis la deuxième raison, plus spirituelle, parce que ne dire que cette première partie permet de rester sur la plan de la louange, et de la joie qui s’y exprime, par laquelle nous reconnaissons l’intervention de Dieu au niveau de la créature dont Marie est l’archétype par excellence. La deuxième partie, centrée à la fois sur la reconnaissance de notre statut de pécheur et la demande d’une prière d’intercession « maintenant et l’heure de notre mort » nous fait ainsi passer à un registre plus théologique et mental, plus froid, et même un peu « triste » pour certains (évocation de la culpabilité, de la mort, même si cela peut (et doit) être dépassé par un travail d’interprétation, l’analyse ci-dessous le permettant). En ce sens, cette courte prière peut être considérée comme un mantra, essentiellement dans le cadre de sa répétition dans le rosaire, à l’instar de la prière du cœur chez les orthodoxes, ou dans le cadre d’un travail consistant à nous harmoniser avec la nature. On notera d’ailleurs que dans la tradition orthodoxe l’Ave Maria est réduit a sa formule primitive et que l’ajout, proprement catholique, n’existe pas. Ceci étant dit, des arguments solides pèsent aussi en faveur de la prière complète telle que nous la connaissons aujourd’hui et ce sera a chacun d’expérimenter pour s’en faire un avis et choisir l’une ou l’autre des formules de récitation. Sur un plan pédagogique, il semble judicieux de travailler d’une manière approfondie la première partie avant de passer à la deuxième, ceci permettant ainsi de vivre, à son échelle individuelle, l’histoire même de l’évolution historique de l’Ave Maria.

Le nom de Marie

Le nom révélant la nature même et l’essence profonde de l’être qu’il désigne, voyons ce qu’il peut nous indiquer à propos de Marie. A titre anecdotique, nous pouvons déjà souligner que le mot « Marie » est l’anagramme du mot « aimer ». Cet anagramme est d’ailleurs d’autant plus intéressant qu’elle fut sans doute la créature qui sut vivre l’amour de la manière la plus parfaite, ayant pleinement amorcé l’intégration de cette réalité telle qu’on y est invité dans la tradition biblique.

Le nom « Marie » est toutefois une traduction française d’un mot araméen, maryam, (Marie parlait en araméen) ou d’un mot hébreu, myriam. Son étymologie hébraïque nous permet d’extraire du mot myriam  les notions de « désobéissance », de « rébellion » ou de « révolte », des mots fort étonnants, la tradition chrétienne nous ayant toujours présenté Marie comme un modèle d’obéissance, d’humilité et de soumission. En quoi, dès lors,  le mot myriam  nous invite-t-il donc à nous rebeller? Contre les sollicitations du monde, bien évidemment, qui tentent de nous détourner de notre vocation profonde, nous incitant à faire autre chose que ce que Dieu nous propose. Il ne s’agit pas alors de rejeter purement et simplement la société, mais les valeurs qu’elle nous invite à développer, des valeurs fondées sur l’avoir, le pouvoir et le valoir.

Outre ce caractère rebelle de Marie face aux modèles valorisés par la société, nous pouvons également extraire de son nom, myriam,  le mot mar qui désigne ce qui est amer. Dans la tradition biblique, l’amertume évoque essentiellement un sentiment qui s’éveille lorsque l’aspirant conscientise l’ardente absence de Celui qui donne sens à toute chose. L’amer est donc étroitement associé à un sentiment de manque qui pourrait bien être une source d’enfermement, mais qui se trouve parfois aussi à l’origine d’un élan intérieur visant à le combler efficacement, en amorçant le passage du monde d’en bas, le monde de la Chute où Dieu est absent, vers la Terre promise, emblème du monde d’en haut, un monde où Dieu serait présent.

Nous pouvons également extraire du mot myriam,  le terme mayim, désignant l’eau, un élément qui incarne, dans la tradition antique, la substance à l’origine de toute manifestation, la materia prima dont parlent les anciens. Cet élément est donc une matrice ouverte sur les possibles, renonçant à toute forme qui serait sienne pour donner à ces possibles l’occasion de se concrétiser pleinement, de se réaliser.  Les eaux dont Marie est une évocation permettent dès lors de nous libérer de cette finitude en nous ouvrant à l’immensité des possibles.

Nous pouvons aussi extraire du mot Myriam,  le terme mar  qui désigne la « goutte », et le mot yam, qui évoque la mer. Ainsi, Marie serait une « goutte de mer ». Sachant que la mer évoque essentiellement, dans la pensée biblique, la matière primordiale indifférenciée, nous retrouvons à nouveau un symbolisme comparable à celui évoqué précédemment. Nous pouvons ainsi voir en Marie cette matière originale ou primordiale qui va bientôt connaître une re-création accomplie par l’Esprit saint amenant l’homme a renaître en le libérant de sa condition finie et limitée pour qu’il puisse participer pleinement à la réalité divine. L’homme étant appelé à vivre une véritable déification, un processus qui le transformera radicalement : c’est la seconde naissance accomplie par la puissance  de l’amour. Autrement dit, celle-ci permet à l’homme d’être déifié, une expérience vécue en « contrepartie » de l’incarnation. Et tout cela s’accomplit évidemment en Marie puisque c’est elle qui permit à Dieu de se faire homme (« et le verbe s’est fait chair ») afin que l’homme puisse être fait Dieu

Ajoutons encore que l’image de la goutte désigne, dans la tradition biblique, une quantité négligeable, dans le même sens que nous l’employons parfois en français : « c’est une goutte dans l’océan »! Elle peut donc aussi désigner un « presque rien », le nom de Marie nous révélant que le processus de déification auquel nous sommes invités ne relève pas de nos propres forces, mais de la puissance du Saint-Esprit. En effet, ceci nous enseigne que pour être déifié, il faut d’abord assumer son état de « presque rien », son état d’impuissance à s’accomplir par soi-même. La clef la plus importante pour entrer dans le mystère de l’Ave Maria, est d’ailleurs très certainement cette image de la « goutte de mer » en tant que « presque rien ».

La prière. Première partie
Réjouis-toi Marie…

Ces mots ont d’abord été prononcés par l’Ange Gabriel et les exégètes s’accordent tous pour affirmer qu’il faudrait plutôt les traduire par l’expression : « Réjouis-toi Marie… » afin de respecter pleinement le texte évangélique, mais même si on peut bien sûr souscrire à cette remarque, on peut cependant continuer à utiliser l’expression habituelle dans l’église catholique « je vous salue Marie », l’idée de salutation ayant ici une grande importance. Quoi qu’il en soit, ces mots sont particulièrement puissants dans la mesure où ils ont été les premiers à être formulés dans les temps nouveaux, inaugurant en quelque sorte l’ère eschatologique qui suivit. En effet, venu à la rencontre de Marie, l’Ange devait lui faire une annonce très particulière concernant l’arrivée des temps messianiques qui allaient bientôt permettre l’accomplissement des plans divins. Ce « réjouis-toi Marie » était effectivement une façon sans équivoque de lui annoncer que le Messie venait à elle, ce roi qui allait transformer le monde.

Prononcer ce « Réjouis-toi Marie… », deux mille ans après,  nous amène donc à adhérer à cette idée que le roi est venu à elle et qu’il peut tout aussi bien venir à nous pour nous transformer radicalement. Je reconnais ainsi le fait que Marie fut mère du Messie.

Cette affirmation n’a de sens qe si je vis moi-même cette réjouissance. Je ne peux évidement pas réciter ces mots sans entrer dans cette dynamique!

Exercice : dire plusieurs fois cette expression jusqu’à ressentir cette réjouissance, mot voulant dire « donner de la joie », et donc jusqu’à éprouver une joie toute intérieure.

Une première question se pose dès lors : « suis-je dans la joie du salut, dans la joie messianique? »

Réjouis-toi, Marie, le Seigneur est avec toi!

Conscientisez-vous le caractère extraordinaire de cette annonce? Le Seigneur est avec moi, sa présence m’assurant que le salut est désormais tout proche!

Où en sommes-nous avec la joie? C’est finalement la grande question que pose les premiers mots de l’Ave Maria. Comment entrer pleinement dans cette joie de mon sauveur, celui qui me transforme, me ressuscite et me déifie? Ces premiers mot de l’Ave Maria  nous apprennent qu’on ne peut accueillir le Messie dans la tristesse ou dans l’indifférence. On ne peut l’accueillir que dans la joie.

A cette joie de Dieu s’apprêtant à faire, via son incarnation dans le ventre de Marie, l’expérience de la réalité humaine, l’homme ne peut évidemment répondre que par une joie analogue, celle de celui qui va bientôt faire l’expérience de la réalité divine, ce qu’est fondamentalement le salut. Si Dieu s’est fait homme, c’est effectivement pour que l’homme soit fait Dieu.

Saint Paul nous affirme, dans son épître aux Galates, que « le fruit de l’Esprit Saint est la joie ». Lorsque le Saint-Esprit adombra Marie, il lui communiqua donc une joie intense qui l’amena d’abord à se réjouir. Et lorsque l’Ange lui dit : « Réjouis-toi! » il lui demanda substantiellement : « Réponds à cette joie infinie qu’éprouve le Créateur à la perspective de faire l’expérience de la réalité humaine, te réjouissant aussi du fait que tu es invitée à faire l’expérience de Dieu, étant ainsi délivrée de ta condition toute empreinte de finitude »!

 Comblée de grâce…

Nous sommes tous porteurs d’une grande viduité, l’homme étant ontologiquement un vase. En cela, il ne possède pas la vie et l’existence en lui-même. Mais il ne s’agit pas ensuite de rester vide, mais de recevoir ce que les catholiques appellent la grâce et ce que les orthodoxes nomment les « énergies divines ». Cette force nous remplit alors, ayant précisément  pour vocation, en tant que vase, de recevoir et d’accueillir cette énergie qui donne la vie et l’existence. Plus encore, cette grâce nous confère aussi une vie qui n’est en aucun point comparable à celle qui caractérise notre état actuel. Si seulement nous avons une idée de ce à quoi l’homme est appelé! Pensons ici à saint Jean qui, ayant vu le Christ lui apparaître dans une grotte de Patmos, tomba comme mort. L’homme placé devant la Vie et l’Etre devient comme mort lorsqu’il découvre que ce qu’il croyait être la vie et l’existence n’est rien par rapport à ce que sont vraiment ces réalités.

Ceci étant, Marie est dite « pleine de grâce », c’est-à-dire qu’elle est remplie par l’énergie divine qui la comble jusqu’au débordement. Ce n’est que dans cet état qu’il est d’ailleurs possible d’aimer vraiment. En effet, l’amour ne vient pas de l’homme mais de Dieu, « Dieu étant amour » (1 Jean IV,8). Il ne peut donc aimer que lorsqu’il reçoit en lui l’énergie divine jusqu’à être « comblé de grâce », comme on en trouve l’expression dans la version grecque des évangiles. Le sens originel des mots qui nous intéressent actuellement est : « Réjouis-toi Marie qui a reçue une plénitude de grâces, des grâces qui s’épanouissent en toi aujourd’hui et qui ne te seront jamais enlevées.

Dans cette expression « comblée de grâce », l’Ange affirme donc à Marie qu’elle a reçu les énergies divines, maintenant pleinement présentes en elles et que cela ne pourra lui être enlevé à moins qu’elle ne souhaite pas y participer. Ainsi, en récitant l’Ave Maria,  je reconnais également avoir reçu les énergies divines, souhaitant qu’elles s’épanouissent en mon être, ayant la certitude  qu’elles ne me seront jamais enlevées.

Exercice : répéter plusieurs fois : « Réjouis-toi Marie, comblée de grâce », en se laissant imprégner de la vibration joyeuse de l’amour.

Le Seigneur est avec toi…

Il ne s’agit pas d’être simplement un réceptacle recevant l’énergie divine  mais de s’établir également dans une dynamique relationnelle avec Dieu. En effet, le Dieu des chrétiens est un Dieu personnel. La relation que l’homme entretient avec Lui n’est donc pas une simple « relation » qu’il établit avec un « Principe organisationnel » ou une « Puissance interpersonnelle ». Beaucoup d’entre nous acceptons le fait que Dieu est amour, les trois personnes de la Trinité étant dès lors comparables à trois pédagogues de l’amour.

Marie vécut une véritable histoire d’amour, étant devenue à la fois l’épouse du Saint-Esprit, la mère du Fils et fille du père. En disant : « le Seigneur est avec toi » on souligne donc l’existence d’une dynamique relationnelle avec Dieu, sa présence étant bien d’avantage qu’un simple remplissage d’énergie. Si j’ose réciter l’Ave Maria, invoquant cette Marie devenue épouse du Saint-Esprit, j’adhère dès lors nécessairement à cette idée. En la reconnaissant en outre comme un archétype de l’humanité, j’exprime mon souhait de vivre la même expérience.

Exercice : répéter cette séquence plusieurs fois : « Réjouis-toi Marie, comblée de grâce, le seigneur est avec toi », tout en conscientisant les enjeux précédemment explicités.

On pourra ici apprendre cette séquence en latin (en gras les accents toniques) :

Ave Maria, gratia plena, Dominus tecum…

En français :

Je te salue Marie, pleine de grâce, le Seigneur est avec toi…

ou avec le vouvoiement, selon l’usage actuel général dans l’église catholique :

je vous salue Marie, pleine de grâce, le Seigneur est avec vous.

Tu es bénie entre toutes les femmes…

Saint Bernard affirmait à ce propos : « pas entre toutes les vierges mais entre toutes les femmes », il percevait ainsi en Marie, l’archétype de toute créature. En effet, le mot « femme » (mulier en latin) désigne essentiellement l’épouse en tant que mère. Autrement dit, c’est la femme pleinement accomplie dans sa vocation première : celle de donner la vie. Affirmer : « vous êtes bénie entre toutes les femmes », consiste à dire :  » tu es bénie entre toutes les mères », Marie étant déjà considérée comme mère par l’Ange Gabriel et par le Seigneur qui avait placé en elle toute sa confiance.

Plus encore, elle fut alors bénie et toute bénédiction évoque l’exaltation d’une chose conformément à sa vocation. Ainsi, Dieu bénit l’homme sitôt l’avoir créé : « Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, homme et femme, il les créa. Dieu les bénit et leur dit : » Soyez féconds, multipliez, emplissez la terre, soumettez-là… » « Bénir » désignant l’acte de créer, de donner à l’autre d’exister pleinement. Il y a donc bien dans la notion de bénédiction l’idée d’exalter l’autre en vue de favoriser sa croissance et son développement, le soutenant dans ce qu’il est.

Ajoutons que bénir se dit en latin benedicire, un mot qui signifie « dire du bien de ». « Vous êtes bénie » signifie donc que l’on dit du bien de Marie. Bénir quelqu’un, c’est effectivement se positionner à l’inverse d’une attitude qui consisterait à le maudire (à dire du mal de lui). Quand je le bénis, je dis du bien de lui, voulant que s’accomplisse ce dont il est porteur. Aussi, « Tu es bénie entre toutes les femmes » signifie que je dis du bien de Marie, souhaitant qu’elle s’exalte et s’accomplisse pleinement en tant que mère, formulant également le souhait d’être cette femme bénie, cette femme qui enfantera l’homme nouveau. En d’autres termes, je la reconnais alors comme mère et j’adhère à son modèle, me permettant de vivre à mon tour.

Et béni est le fruit de ton ventre, Jésus.

Ce « fruit de ton ventre » (ou de tes « entrailles » dans la version dite « officielle » du je vous salue Marie) est évidement Jésus qui se trouve dès lors béni à son tour. Autrement dit, en prononçant ces mots, j’exprime également le souhait que Jésus accomplisse ce qu’Il est, le reconnaissant d’abord comme Messie. J’affirme ainsi vouloir que cette ère messianique s’amorce dès maintenant, exprimant ma volonté de le suivre, de vivre le projet qu’Il me propose. C’est exactement comme pour le Pater qui fut originellement réservé aux baptisés, le réciter nécessitant de s’engager sur la voie chrétienne. Dans les mots de l’Ave Maria, tout un chemin se dessine, un chemin auquel nous adhérons par le verbe.

Avec ces derniers mots s’achève l’Ave Maria tel qu’il était récité à l’origine et dont le principal enjeu est la reconnaissance de l’expérience de  Marie en tant que créature idéale, une reconnaissance m’amenant à adhérer à sa réalité, m’engageant alors à soutenir le Christ et sa mission dont Marie fut mère.

Nous pouvons dire maintenant la prière complète.

En latin:

Ave Maria, gratia plena, Dominus tecum…

bendicta tu in mulieribus,

et benidictus fructus ventris tui, Iesus.

En français :

Réjouis toi Marie, comblée de grâce, le Seigneur est avec toi,

tu es bénie entre toutes les femmes et béni est le fruit de ton ventre, Jésus.

ou selon l’usage général dans l’Eglise catholique :

Je vous salue Marie, pleine de grâce, le Seigneur est avec vous,

vous êtes bénie entre toutes les femmes et Jésus, le fruit de vos entrailles, est béni.

Séance II

Considérations générales

Cette deuxième partie s’inscrit dans une dynamique de demande. Ce n’est donc plus une simple louange, mais une invocation. Invoquer signifier « appeler à venir à vous ». Autrement dit, en invoquant Marie, on l’invite à pénétrer dans la maison de notre cœur afin de pouvoir participer pleinement à sa réalité. On récite l’Ave Maria pour devenir Marie, pour incarner cet archétype, pour vivre cette expérience.

La prière, deuxième partie
Sainte Marie

La sainteté désigne essentiellement « ce qui est séparé » dans le sens de « ce qui appartient en propre à Dieu ». En effet, elle évoque d’abord le caractère divin qui sépare et distingue l’Eternel de tout chose créée. Ainsi, elle appartient au Seigneur, mais Il peut la communiquer à l’homme si celui-ci accepte de participer à sa réalité, étant alors introduit dans la sphère du divin, étant séparé de ce qui est profane.

Vouloir être saint, c’est vouloir vivre d’une vie nouvelle sous la mouvance du Saint-Esprit donné précisément aux hommes pour les sanctifier. S’approcher de la sainteté de Dieu nécessite évidemment de mourir à soi-même (à ses ambitions) pour s’ouvrir à l’autre. Ainsi le saint est celui qui se tourne vers autrui, celui qui aime pleinement et n’hésite pas à mourir dans l’expérience de cet amour. En prononçant les mots : « sainte Marie », nous invoquons dès lors ce nouvel état d’être, réclamant à celle que nul vide n’affligera jamais d’avoir compassion de notre vide pour le combler. C’est donc notre ressemblance à elle que nous implorons.

Mère de Dieu

Le titre de « Mère de Dieu » est apparu pour la première fois en Egypte ( en savoir plus sur cette question https://fr.wikipedia.org/wiki/Th%C3%A9otokos) « Car si notre Seigneur est Dieu, comment la Vierge qui l’a engendré ne serait-elle pas mère de Dieu? » (Cyrille, évêque d’Alexandrie).

Si Marie est bien Mère de Dieu (théotokos), elle est en outre mère des hommes, leur assurant une nouvelle naissance, celle de l’homme nouveau. C’est d’ailleurs ce que nous confirme ces paroles que le Christ lui adressa ainsi qu’à Jean : « Jésus donc voyant sa mère et, se tenant près d’elle, le disciple qu’il aimait, dit à sa mère : « Femme, voici ton fils. » Puis il dit au disciple : « Voici ta mère ». Dès cette heure là, le disciple l’accueillit chez lui. » Il s’agit dès lors de devenir fils de Marie, ce à quoi nous invite l’Ave Maria lors que cette prière l’invoque en tant que mère. Elle nous permet alors de vivre cette seconde naissance à laquelle le Christ fit allusion lors de son entretien avec Nicodème : « Jésus lui répondit (à Nicodème) : « En vérité, en vérité, je te le dis, à moins de naître d’en haut, nul ne peut voir le Royaume de Dieu ». Nicodème lui dit : « Comment un homme peut-il naître, étant vieux? Peut-il un seconde fois entrer dans le sein de sa mère et naître? » Jésus lui répondit : « En vérité, en vérité, je te le dis, à moins de naître d’eau et d’Esprit, nul ne peut entrer dans le Royaume de Dieu. »

En ce sens, Marie est le principe féminin de la régénération spirituelle, une idée qu’a longuement développée saint Louis-Marie Grignion de Montfort montrant que le ventre de Marie où est né jésus, est aussi le ventre où naissent et se développe mystiquement les chrétiens régénérés par le baptême. Dans cette perspective, il appelait Marie « le grand moule de Dieu », le « moule à faire des dieux », rejoignant par là une formule de saint Bernard pour qui la Vierge était l' »utérus divin ». Elle devient ainsi la mère des hommes régénérés comme elle le fut d’abord du Christ. Plus encore, elle nourrit l’homme régénéré et assure son développement spirituel « en lui donnant ce lait », qui n’est rien d’autre que la puissance de l’amour en tant que force transformatrice, une force qu’elle a reçue elle-même le jour de l’Annonciation, l’introduisant dans un nouvel ordre des choses.

Marie nous invite également, en tant que mère, à vivre une expérience de maternité.

A l’origine, Dieu devint mère de la création, ayant par la suite pris soin d’elle, l’ayant chérie et lui ayant apporté tout ce dont elle avait besoin pour sa croissance et son développement. L’amour de Dieu pour l’homme fut donc, dans un premier temps, un amour maternel et c’est pourquoi l’amour de l’homme pour lui sera également, dans un premier temps, un amour maternel à la manière dont l’a vécu Marie. Comment y parvenir? en nous retirant de nous-mêmes pour laisser un espace vide, un espace destiné à accueillir Dieu en nous (voir le tsitsoum).

Cet espace ne sera pas situé à un endroit quelconque de notre être mais au centre de nous-mêmes, au niveau du ventre, ce lieu évoquant symboliquement la cavité utérine présente chez la femme. (voir le hara). Pour devenir mère, l’homme doit donc aménager en lui un espace destiné à l’autre, un espace de choix se situant au centre de son être. Ainsi, Marie nous rappelle la nécessité de nous ouvrir à une véritable expérience de Maternité, laissant à Dieu une place centrale au sein de notre existence, nous retirons de nous-mêmes en nous-mêmes pour l’inviter à devenir le centre de notre vie. En la désignant comme « Mère de Dieu », nous lui demandons d’intercéder auprès de lui pour qu’il vienne habiter en notre être, Lui donnant ainsi naissance dans notre cœur (dont la crèche est l’archétype) en devenant à notre tour mère du Seigneur. En invoquant la Vierge par les mots « Mère de Dieu », c’est comme si on lui disait : « Donnez-nous la force d’être porteurs du Christ, que le Christ naisse en nous, que Dieu s’installe en nous, afin que nous accomplissions à notre tour le mystère de l’Alliance ».

De cela découle une disposition de maternité qui nous conduira également à accorder à notre prochain une place de choix dans notre vie, agissant envers lui avec la même tendresse, la même sollicitude, étant d’avantage préoccupé par son bien-être et son développement que par notre propre bien-être ou notre propre évolution. Dans la même perspective, si je ne suis pas tourné vers les autres lorsque j’invoque Marie, je ne peux pas être ouvert à la sollicitude maternelle qu’elle incarne. Si je ne deviens pas une mère pour les autres, comment puis-je être ouvert à la Mère qui pourrait m’aider à accomplir le projet que Dieu me propose? (voir la guérison de l’infirme de la piscine de Bethesda).

En qualifiant Marie de « Mère de Dieu », nous la reconnaissons donc comme Mère et nous lui demandons également de participer à sa maternité.

Prie pour nous…

Je ne m’adresse à pas à Marie en lui disant : « priez pour moi » mais bien « priez pour nous ». C’est déjà une précision fondamentale soulignant que ma requête ne n’inscrit pas dans une démarche égoïque, mais qu’elle inclut tous les membres de l’Eglise, celle-ci désignant « l’ensemble des chrétiens, appelés à la foi dans le Christ et qui répondent à cette convocation divine ». Comment pourrait-il en être autrement dans la mesure où e christianisme est une religion de l’amour et qu’il n’y a pas de véritable amour sans dépossession de soi? Par ces mots, j’affirme donc être pleinement conscient du rapport étroit qui m’unit à tous les autres, assumant la responsabilité de contribuer à leur délivrance. En effet, si « tu est divinisable, tu es attiré vers Dieu au plus intime de ton être, mais ton itinéraire personnel vers Dieu marche de pair avec ton union aux hommes. Le « Vertical » ne vas pas sans l' »horizontale ». Celui-ci s’enracine dans celui-là. Dès lors, la demande que je formule à Marie s’inscrit dans une dynamique où je me tourne essentiellement vers les autres, vivant littéralement pour eux.

En demandant à Marie de prier pour nous, nous la reconnaissons en outre comme étant apte à assurer une intercession entre Dieu et les hommes. Or « dans la littérature patristique », le rôle de Marie médiatrice est implicitement contenu dans l’antithèse d’Eve et de Marie que l’on trouve affirmé chez saint Justin et surtout saint Irénée. Saint Grégoire de Naziance (mort en 389) déclare que tout le monde sait que « la grâce de Dieu nous vient par l’intermédiaire de la Vierge, femme qui est toute joie! plus belle que toutes les vierges, souveraine qui commande aux armées célestes, joie du genre humain, bienveillante à tous, salut suprême. »

Dans la même perspective, dans un très célèbre sermon, saint Bernard montre comment la Mère de Dieu est l’aqueduc par lequel s’écoule sur nous toute l’eau vive de la source divine : « vous avez déjà compris je suppose de quel aqueduc je parle, qui, tenant sa plénitude qui jaillit dans le cœur du Père, nous en distribue ensuite non pas toute l’abondance, mais ce que nous sommes à même d’en recevoir. […] Quelle que soit l’offrande que vous vouliez présenter à Dieu, souvenez-vous de la confier à Marie afin que la grâce remonte à sa source par le même canal qui nous l’a apportée. Certes Dieu avait le pouvoir, s’il l’avait voulu, de nous infuser la grâce sans passer par cet aqueduc. Mais il a tenu à nous donner ce moyen de l’amener jusqu’à nous. (Sermon pour la nativité de la bienheureuse Vierge Marie, dit l’Aqueduc)

Pécheurs…

Dans l’usage général du « je vous salue Marie » à l’honneur dans l’Eglise catholique (ce n’est pas une prière liturgique, aussi libre à chaque communauté d’adopter sa version de prédilection, et le mot « pauvre » qui n’existe pas en grec et en latin, a été supprimé dans certaines communautés monastiques, comme le Carmel par exemple), il est utilisé l’expression « pauvres pécheurs ». Le mot « pauvre » pouvant être compris comme la prise de conscience de notre faiblesse par rapport à notre condition de « pécheur », soit de personnes sans cesse appelées à chuter quand elles s’éloignent de l’amour de Dieu (le mot « péché » vient du latin peccatum, « faute, erreur », lui-même dérivé du verbe peccare, qui signifie au sens premier « broncher, faire un faux pas », hérité des mots  «hattah» en hébreu et «hamartia» en grec qui signifient tous les deux «manquer sa cible», à l’image d’une flèche qui rate son but ou sa destination.) On peut ainsi parler ici de « désaxement » ce qui implique, pour toute thérapie, de se « ré-axer » soit de se réorienter vers l’expérience de l’amour de Dieu.

En se désignant comme « pauvre pécheur », il ne s’agit évidemment pas de se dévaloriser, et moins encore, de se culpabiliser. En effet, l’homme n’est pas pour Dieu un être sans valeur, étant au contraire infiniment précieux à ses yeux. Les mots qu’Il adresse à son Fils : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé qui a tout mon amour », Il les adresse effectivement à chacun d’entre nous.

Il n’est donc pas question de se dévaloriser, mais de reconnaître nos blessures et notre besoin d’être guéri, une reconnaissance indispensable à tout processus thérapeutique. Ainsi, une personne alcoolique ne peut pas guérir si elle ne reconnait pas d’abord son problème de dépendance à l’alcool. En ce sens, se reconnaitre pécheur ne consiste pas à s’établir dans une culpabilité paralysante mais à s’engager dans une dynamique de transformation. Ajoutons qu’il ne s’agit pas d’une méditation douloureuse et mortifère sur le passé. Le repentir n’a rien de commun avec la consternation figée du remords qui empêche de se relever et de marcher vers l’avant. Au contraire, il s’ouvre toujours sur l’avenir.

C’est le projet d’une existence plus juste, plus aimante, qui éclaire la corruption de mon passé, et m’incite à changer de vie, à m’empresser auprès des autres, à m’épandre vers mon prochain. Sans ce projet, sans repentance, je ne soupçonnerai pas ma dépravation et je croirais aller de l’avant quand en vérité je piétinerais sur place, m’enlisant dans les sables mouvant de mon orgueil… Le repentir est ainsi expansif comme la musique. Il est la mélodie qui glorifie le Dieu de miséricorde.

Maintenant et à l’heure de notre mort

Le terme « maintenant » est très important car il nous indique que nous ne prions pas en vue d’un avenir inquiétant. Ce genre de projection malsaine vers un futur hypothétique a d’ailleurs été grandement dénoncé par le Christ lui-même :  » Ne vous inquiétez donc pas du lendemain : demain s’inquiètera de lui-même. A chaque jour suffit sa peine ». Ce « maintenant » nous indique en outre que la dynamique de transformation dans laquelle je me suis engagé est désormais pleinement opérative, étant liée à ce « maintenant », à ce « hic et nunc » que je vis. Par ces mots, je reconnais enfin mon urgent besoin de l’appui maternel de Marie afin qu’elle me communique la grâce qui pourra me soutenir tout au long de queste, me protégeant contre les attaques du Prince de ce monde qui, par tous les moyens, cherche nécessairement à me récupérer pour me placer sous son emprise. Ainsi donc, ce mot « maintenant » nous précise que notre invocation, visant à vivre le plus pleinement possible cet archétype que Marie incarne, concerne le moment présent et non un futur quelconque, « quand je serai prêt ». Cette incise pourrait donc se traduire ainsi : « Que maintenant cela s’accomplisse car je ne serai pas prêt d’avantage demain. Je ne suis pas prêt, mais je sais qu’il n’est pas nécessaire d’être prêt, mais de simplement dire « oui »!

Ce « maintenant » s’associe toutefois également à un autre temps, celui de la mort. En effet, Marie n’est pas seulement celle qui nous donne d’exister maintenant, elle est également cette mère qui nous donne d’être déifié, étant cette matrice dans laquelle nous allons être pleinement déifiés à « ‘l’heure de notre mort ». La « mort » désigne ainsi le moment où Dieu va nous proposer cette transformation radicale, une transformation si radicale qu’on ignore totalement ce qu’elle peut représenter à la manière d’une chenille qui ne peut s’imaginer qu’elle deviendra un jour papillon. Face à cette destinée inconnue, nous éprouvons tout naturellement une profonde angoisse. Il n’y a rien de plus difficile que mourir, cette expérience initiatique ultime étant cependant ce à quoi nous devons consacrer tous nos efforts, quelle que soit la démarche initiatique choisie. Platon affirmait déjà en ce sens : « Philosopher, c’est apprendre à mourir ». Mais apprendre à mourir est quelque chose de terriblement difficile. En demandant à Marie de prier pour nous à l’heure de notre mort, on lui exprime donc clairement notre besoin de soutien, en vue d’accepter le lâcher-prise nécessaire face à ce que l’on est, renonçant à toute pérennité. Autrement dit, nous lui demandons la force de pouvoir dire shadaï, « c’est assez! », renonçant à notre vie d’homme pour nous ouvrir à une toute autre existence, lâchant prise par rapport à ce que nous sommes pour devenir tout autre. Notre invocation pour « l’heure de notre mort » est dès lors une manière de demander à Marie d’apprendre à mourir à soi-même en renonçant à notre pérennité, reconnaissant que, même encore verts, il faudra renoncer à tout désire de se perpétuer, l’heure venue, afin de s’ouvrir à une autre réalité. C’est cela que l’on demande dans l’Ave Maria. Cette prière implique ainsi l’idée de renoncer à tout achèvement de soi, le projet de Dieu étant bien plus grandiose, mais nécessitant que nous fassions l’expérience d’une autre réalité.

Amen

L’Ave Maria se termine par un mot d’une grande puissance : le mot Amen, un terme hébreu dérivé d’une racine qui traduit l’idée d' »approuver » ou de « confirmer ». En effet, dire « amen », comme on le fait à la fin de cette prière, est un moyen d’approuver et d’adhérer à ce qui vient d’être dit. Ce terme marque une approbation inconditionnelle et une soumission totale à ce que la prière exprime. Il en était d’ailleurs déjà ainsi dans la Bible.

En se présentant comme l’Amen, le Christ affirma également qu’Il adhérait totalement la volonté de Dieu.

En adhérant à la volonté divine, l’Amen évoque aussi ce qui est, en toute vérité. C’est d’ailleurs pourquoi de nombreux traducteurs traduisent ce mot par l’expression « en vérité ». Ainsi, lorsque Jésus insiste tout particulièrement sur la vérité d’une déclaration en disant : « Amen, je vous le déclare », une expression reprise soixante-quinze fois dans les Evangiles, les traducteurs traduisent bien souvent par les mots « en vérité, je vous le dis.

Le verbe grec Pisteuein, que nous traduisons par « croire » ou « avoir la foi », évoque la même réalité que le verbe hébreu aman qui donna naissance au amin signifiant « être certain de la vérité de … », « ne faire qu’un avec » ou « adhérer ».

Ce mouvement d’adhérence amène alors l’homme a exister pleinement en se tournant tout entier vers sa source, comme le Christ Lui-même existe en étant tourné vers son Père : « Et le Verbe était tourné vers Dieu » (Jean I,1). Plus encore, Il ne fait qu’un avec Lui, dans ce mouvement « d’adhésion », invitant ses frères à y adhérer à leur tour, à participer à sa réalité, étant le premier-né d’une multitude de frères : « Comme toi, Père, tu es en moi et moi en toi, qu’eux-aussi soient un en nous ».

En disant Amen, après avoir récité l’Ave Maria , j’exprime donc mon adhérence pleine et entière aux paroles qui viennent d’être dites. Je dis « Amen » à la virginité par refus des remplissages autres que la fécondation divine, « Amen » à la maternité divine, « Amen » à la maternité humaine, « Amen » aux invocations universelles, à tout ce dont les hommes ont besoin pour naître une première fois et une seconde fois.

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