Sa seule ressource est d’être poète

Gustave Thibon – « Ils sculptent en nous le silence »


« J’ai découvert un poète… Sa seule ressource est d’être poète, de répondre à ce besoin de transmutation de l’existence en beauté qui est au fond de toute expérience artistique. La poésie se situe au confluent du monde sensible et du monde spirituel. L’éphémère y palpite, pris au filet de l’éternel, et c’est dans cette ambivalence que résident la réalité et l’illusion de la création poétique, délivrance toujours imparfaite, trait d’union fragile et merveilleux entre la terre qu’elle transfigure et le ciel qu’elle ne rejoint qu’en rêve.
Le poète s’arrête au seuil que franchît le saint… Le poète ne fabrique pas le mystère, il le pressent. Ce qu’il exprime n’est rien au prix de ce qu’il fait deviner ; ici le halo compte plus que l’astre. Henri Moreau qui est un poète religieux…sait que le verbe humain est toujours un voile, et que ce voile ne se déchire jamais complètement ici-bas…La vraie mission du poète est de le rendre translucide. L’inépuisable soif de la lumière nue soulève et apaise les ondes verbales comme le rythme musical enchaîne les sons au silence et les corps des danseurs à une immobilité invisible.


La poésie est comme le rêve de Dieu dans l’homme, un rêve où l’apparence transfigurée se change en apparition …Mais cette apparition reste encore image et symbole et s’épuise à son tour devant l’ultime réalité qu’elle cache et qu’elle révèle à la fois. La beauté est le dernier voile de Dieu : la promesse, éternellement vierge, reste éternellement inaccomplie…Et le poète soupire en vain vers l’innocence du rêve pur, la nature tissée de symboles et qui, sans effort et sans contrainte, palpite au rythme de l’instant nu, image terrestre du présent éternel….


Et il tremble que les promesses du rêve meurent d’être tenues. Il redoute le grand jour de l’éternité qui balaiera les fantômes de l’amour et de la beauté… Si, sur le chemin qui conduit de l’homme à Dieu, la poésie va plus loin que la métaphysique, c’est que, là où la métaphysique affirme, nie ou doute, la poésie implore ; et que ses accents sont comme le gémissement de la beauté visible qui s’exténue à la poursuite de la beauté invisible : …
L’essence de la poésie réside dans le dialogue entre la sirène captive et l’ange nocturne. Un dialogue qui n’aboutit pas, car aux suprêmes questions, l’ange répond par le silence. Et ce silence est vraiment la réponse : tous les mots que nous sommes tentés de lui attribuer ne sont que l’écho de notre propre voix. Et le génie poétique se mesure à la qualité du silence que les mots laissent filtrer, à l’épaisseur des ténèbres divines que découvrent les éclairs du verbe. Au terme de l’intuition ontologique du poète, palpite le coeur du Dieu nocturne caché sous les flots de lumière qui ruissellent de lui…..


Le poète s’impatiente devant ce barrage de rayons qui lui masque le grand secret…Car la lumière terrestre précise, isole et sépare, et c’est dans la nuit que réside l’unité….La poésie est marquée des chiffres entrelacés de la mort et de l’éternité : son royaume se situe sur cette frontière indécise qui s’étend entre la tombe déjà dépassée et la résurrection encore inaccomplie… »

Voir aussi

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

%d blogueurs aiment cette page :