Théologie naturelle

Peut-on découvrir Dieu dans la nature ?
Théologie naturelle vs Révélation naturelle

On appelle théologie naturelle l’enquête de la raison naturelle sur l’existence de Dieu(x), indépendamment de toute révélation surnaturelle[1].

Des discussions passionnées ont ponctué les siècles parmi les philosophes et les théologiens sur le fait de savoir si la raison pouvait être un secours valable pour la connaissance de Dieu.

Nous verrons au travers de quelques courts articles, les réflexions que peuvent susciter ce chapitre commun à la philosophie et à la théologie ainsi que les points de contact qu’il possède avec la science.

Commençons par défricher le terrain

Si les discussions ont parfois  été animées, c’est qu’il existe de nombreuses manières de positionner le curseur entre raison et révélation (surnaturelle).

Certains ont suggéré qu’il était possible de connaître (ou non) Dieu uniquement par le biais de la raison donc de pouvoir en faire la preuve (ou de le réfuter pour les athées) d’autres insistent sur la révélation et l’incompétence de la raison pour connaître Dieu (fidéistes ou agnostiques), une figure emblématique  de cette position est Karl Barth (prédominance de la révélation mais cependant pas fidéiste). Certains occupent des positions intermédiaires où raison et révélation jouent chacune un rôle pour amener à la connaissance de Dieu.

Or dans les discussions, il arrive souvent que l’on confonde théologie naturelle (qui est du  domaine de la raison) avec révélation naturelle. Comme si l’on s’attendait à trouver explicitement et activement une manifestation de Dieu dans la nature. Cela peut être à la base de quiproquos  que l’on peut éviter si chaque interlocuteur sait de quoi il parle quand il engage une discussion à propos de l’existence de Dieu décelable (ou non) dans la nature.

Différentier théologie et révélation naturelle

Voici une parabole tirée de l’article « theology and falsification » de 1950 du philosophe anglais Antony Flew qui peut nous aider à différentier théologie naturelle et révélation naturelle.[2]

 « Il était une fois deux explorateurs qui arrivèrent dans une clairière, au milieu de la jungle. Dans cette clairière poussaient quantité de fleurs et de mauvaises herbes. L’un des explorateurs dit : « il doit y avoir un jardinier qui entretient ce coin de terre. » L’autre explorateur n’est pas d’accord : il n’y a pas de jardinier. Ils dressent leur tente pour monter la garde. Mais aucun jardinier ne se manifeste. « Mais il s’agit peut-être d’un jardinier invisible. » Ils installent donc une clôture de fil de fer barbelé. Ils y mettent du courant électrique. Ils patrouillent avec des chiens de garde […] Aucun cri ne suggère jamais qu’un intrus a reçu une décharge électrique. Aucun mouvement du fil de fer ne trahit jamais qu’un homme invisible l’enjambe. Les chiens de garde n’aboient jamais. Mais le croyant n’était toujours pas convaincu. « Il y a un jardinier, invisible, intangible, insensible aux décharges électriques, un jardinier qui n’a pas d’odeur et qui ne fait pas de bruit, un jardinier qui vient en secret pour s’occuper du jardin qu’il aime. » Finalement, le sceptique désespère : « Mais que reste-il de ton assertion première ? En quoi précisément un jardinier invisible, intangible, et éternellement insaisissable diffère-t-il d’un jardinier imaginaire ou même d’un jardinier inexistant ? » »

Ce passage aborde la question de la théologie naturelle : « le monde nous donne-t-il un savoir sur Dieu ? ». Ici Dieu ne cherche pas à se faire connaître directement, mais on en cherche les indices qui prouveraient son existence.
Si le jardinier se manifestait chaque matin avec un bouquet de fleurs, on parlerait alors de révélation naturelle et non de théologie naturelle.

Comme le rapporte l’ouvrage de théologie systématique cité en notes, dans la théologie naturelle, c’est l’homme qui est actif et qui cherche à connaître Dieu par la nature, tandis que Dieu reste passif.

Dans la révélation naturelle, Dieu est actif, il s’adresse à l’être humain en se servant d’éléments de la nature (c’est pourquoi on précise révélation naturelle). Dans les Écritures, on voit par exemple Dieu se révéler à Moïse par une éruption volcanique, voir Exode 19:16-18.

Il est donc assez clair que dans nos discussions courantes au regard de la nature, nous parlons en général de théologie naturelle et non pas de révélation naturelle.

Nous verrons que si la philosophie après les lumières a déserté ce sujet, il a trouvé un regain d’intérêt au XXe siècle grâce aux découvertes de la science moderne.

Auteur : Marc Fiquet


Notes

[1]  Paul Clavier, Qu’est ce que la théologie naturelle ?, Vrin, 2004, p 7

[2] Introduction à la théologie systématique, Labor et Fides, Genève, 2008, p. 184-185

Source : https://www.scienceetfoi.com/peut-on-decouvrir-dieu-dans-la-nature-theologie-naturelle-vs-revelation-naturelle/

Théologie de la nature

François Euvé

Le thème de la nature revient dans la pensée contemporaine sous le signe de la menace. C’est parce que la nature est en péril que l’intérêt se porte à nouveau sur elle. Elle n’est plus ce réservoir inépuisable de ressources, ni cette matière passive, infiniment plastique, à disposition de l’action transformatrice de l’humanité. Dès les années 1960, le cri d’alarme est lancé « avant que nature meure », titre d’un ouvrage du biologiste Jean Dorst [1][1]Avant que nature meure. Pour une écologie politique, Delachaux…. La menace d’une « éco-catastrophe » fait entrer l’humanité dans une « véritable crise de civilisation » et oblige à changer toute notre philosophie. Contre l’idée d’expansion indéfinie, s’impose le constat d’un monde fini. D’inerte, la nature devient vivante, fragile, vulnérable. À moins que, brusquement, elle se fasse menaçante. L’humanité est invitée à la considérer non plus comme vis-à-vis, moins encore comme adversaire, mais bien davantage comme « partenaire » [2][2]Jean Dorst, « Menacés d’une éco-catastrophe », in La Nature,….

Dans le même temps, apparaît dans les sciences du vivant la nécessité d’une approche globale de systèmes interconnectés dans des « communautés biologiques ». La science de l’écologie, dont les modèles mathématiques sont mis au point au milieu du XXe siècle, attire l’attention sur ce point [3][3]Cf. Jean-Paul Deléage, Une histoire de l’écologie. Une science…. Des penseurs comme Teilhard de Chardin avaient déjà promu une lecture globalisante – on dirait aujourd’hui « holistique » – du monde : « rien n’est compréhensible dans le Monde qu’à partir du Tout, dans le Tout [4][4]« Mon Univers » (1924), Science et Christ, Œuvres, t. IX,… ». À l’encontre de la tendance des disciplines scientifiques modernes vers davantage de spécialisation, il devient difficile sinon arbitraire d’isoler les divers ordres qui composent la nature, y compris l’humanité.

L’inclusion de l’ordre humain dans l’ordre naturel dans son ensemble traverse la frontière édifiée au début des Temps modernes. On sait l’ambivalence du mot « nature » qui peut désigner aussi bien l’essence d’un être que l’ensemble des entités qui composent le monde. Mais le couple qui tendait à imposer sa structure était l’opposition de la nature et de la liberté, « l’opposition fondamentale de la philosophie », selon Jules Lachelier [5][5]In : André Lalande, éd., Vocabulaire technique et critique de…. Le déterminisme mécanique du monde non humain, réglé par des lois invariantes, contraste avec la liberté de l’acteur, qu’il soit divin (le Créateur de ces lois) ou humain. Connaissant les lois de fonctionnement du monde, l’homme pourra agir sur elles à son profit. Si l’on pense qu’il hérite, au moins pour partie, du pouvoir créateur de Dieu, il pourra même envisager une transformation de cette réalité de statut inférieur au sien.

La composante théologique est présente dans ce débat. Il n’est pas rare d’entendre des dénonciateurs de la situation présente rendre le christianisme responsable de l’origine de cette séparation tragique. Le christianisme aurait rompu le fragile équilibre qui caractérisait le rapport de l’homme antique à la nature, au profit de l’« hubris » de celui qui prétend transformer radicalement la structure des choses. L’« anthropocentrisme » de la pensée moderne serait pour une large part d’origine chrétienne [6][6]Jean Dorst faisait déjà ce diagnostic en 1964 (Avant que nature…. D’où l’invitation, fréquente aujourd’hui, de revenir à des sagesses préchrétiennes comme le stoïcisme ou étrangères au christianisme, comme les spiritualités orientales.

Le souci d’éviter une possible catastrophe écologique doit-il nous faire revenir à une « théologie naturelle » où chaque composante du monde serait invitée à occuper son « lieu » sous la conduite du « Moteur immobile » ? Où l’homme devrait d’abord respecter la disposition des choses qui vient de Dieu [7][7]Dominique Dubarle, « Maîtres et possesseurs de la nature », in… ? Dans le monde catholique en particulier, cette nostalgie n’est pas rare : la résistance traditionnelle à la civilisation moderne trouverait une justification dans les conséquences perverses de cette dernière. Mais si l’on tient à un certain « anthropocentrisme chrétien », tout en restant conscient des risques qu’il comporte, comment redonner à la nature un statut théologique ? Ce sera le propos du présent article. Il commencera par reprendre la composante anthropologique de l’héritage chrétien qui contraste avec le cosmocentrisme de la pensée antique. Il s’interrogera ensuite sur la nouvelle vision de la nature. L’approche globale à laquelle il était fait allusion en commençant s’accompagne d’une perspective évolutive que l’on peut qualifier d’« historique ». Elle contraste aussi bien avec la permanence du cosmos antique qu’avec l’invariance des lois qui réglaient le déroulement de l’univers dans la vision mécanique moderne. Cette approche historique invitera à s’interroger sur l’avenir du monde, plus ouvert et donc plus risqué, que dans les visions anciennes. Dans cette « dramatique » de l’histoire naturelle, la théologie peut apporter sa contribution. Ce sera l’objet du troisième temps.

Lire l’article https://www.cairn.info/revue-recherches-de-science-religieuse-2010-2-page-267.htm

Voir aussi :

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