Pensée du vendredi 24 décembre 2021
Le silence pendant les méditations permet de fusionner avec la lumière cosmique
Le silence est la région la plus élevée de notre âme, et au moment où nous atteignons cette région, nous entrons dans la lumière cosmique. La lumière est la quintessence de l’univers, tout ce que nous voyons autour de nous, et même ce que nous ne voyons pas, est traversé et imprégné de lumière. Et le but du silence que nous nous efforçons de faire en nous pendant les méditations, est la fusion avec cette lumière qui est vivante, qui est puissante et qui pénètre toute la création.
Dieu – seul le silence peut exprimer son essence
« Lorsqu’on demande à un sage ce qu’est Dieu, il répond par le silence, car le silence seul peut exprimer l’essence de la Divinité. Oui, dire ce qu’est Dieu ne suffit pas, et dire ce qu’Il n’est pas non plus. Dire que Dieu est amour, sagesse, puissance, justice… c’est vrai, mais ces mots passent à côté de la réalité divine, ils ne saisissent rien de l’infini, de l’éternité, de la perfection de Dieu.
On ne connaît pas Dieu en parlant ou en écoutant parler de Lui, on Le connaît en essayant de pénétrer profondément en soi-même afin d’atteindre cette région qui est justement le silence. »
Dans la solitude et le silence
Outre la prière communautaire, la Tradition chrétienne invite également tous les baptisés à une prière personnelle. Celle-ci consiste à descendre à l’intérieur de soi, où l’Esprit nous conduit à la présence actuelle du Ressuscité, par lequel nous allons au Père.
On sait que, dans l’Eglise, la prière est d’abord liturgique et communautaire: là se trouvent les sources de toute prière, dans les rituels, les partages de la Parole, les célébrations sacramentelles ou non, dans la considération, aussi, du temps liturgique qui rythme les saisons de nos vies. Mais, greffée sur cette prière-là et en prolongement avec elle, la Tradition chrétienne a aussi développé la nécessité, pour tous les baptisés, d’une prière personnelle, particulière, qui se vit et ne peut se vivre que dans la solitude et le silence.
Pour tous les baptisés: il serait dramatique de penser que certaines catégories de chrétiens en sont d’emblée exclues, parce que, par vocation, trop impliquées dans les affaires du siècle! On laisserait aux « contemplatifs » le soin de s’adonner à… la contemplation, devenue inaccessible au commun. On avaliserait alors l’idée que certains – la plupart – emportés par la vague du temps qui les presse, sont incapables d’intériorité, et ne sauraient vivr leur vie chrétienne que dans l’écume de leur extériorité. Toujours en représentation, toujours en marge d’eux-mêmes, sans aucun ressaisissement possible de soi.
Or le christianisme propose à tous, en même temps qu’une vie commune fondée sur l’agapè, une découverte, quelquefois éprouvante, quelquefois émerveillée, de son « moi » le plus profond, à la lumière bienveillante du Père Créateur, grâce à l’intercession du Fils incarné en Jésus, guérisseur et sauveur de nos vies, dans la puissance de l’Esprit qu’il ne cesse de répandre sur nous. Oublier cela, ce serait mutiler notre vie chrétienne, la réduire par exemple à une série d’engagements sociaux ou sociétaux certes indispensables mais qui ne la récapitulent pas tout entière.
Qu’est-ce donc prier dans la solitude et le silence? C’est d’abord se créer un espace de solitude et de silence. On voit d’emblée que la solitude ici recherchée n’est pas la solitude subie, celle que la vie nous impose quelquefois à cause du grand âge, de la maladie ou, simplement, de l’indifférence de nos comportements urbains. « Seul » renvoie ici à la double acception du terme, qu’on retrouve dans le mot « moine »: « solitaire » certes, mais aussi « unifié », « un ». Les moines, par leur engagement vocationnel, rappellent à tous qu’il s’agit là d’une vocation baptismale commune. Rechercher la solitude ainsi comprise, c’est rechercher non pas seulement l’isolement, mais l’unité intérieure. Quant au silence qui l’accompagne, il n’est pas simplement l’absence de bruit – qui est le calme – mais la volonté de se taire, non seulement de ne pas parler avec sa bouche, mais même avec son cœur – se mettre dans un état d’écoute.
Lectio, meditatio, oratio, contemplatio
Il s’agit en quelque sorte d’une descente à l’intérieur de soi, pour s’y livrer à plusieurs types d’exercices que la Tradition nomme de quatre noms: lectio, meditatio, oratio et contemplatio.
La lectio consiste en une certaine rumination de l’Ecriture Sainte. Non pas une lecture savante, mais une reprise de tel ou tel verset, par exemple entendu dans la Liturgie de la Parole proclamée le dimanche, et dont on découvre, peut-être pour la première fois alors qu’on le connaît depuis toujours, qu’il est une nourriture de notre désir, qu’il fait croître notre bonheur d’être de Dieu et pour Dieu, notre soif de Lui. Toute l’Ecriture possède cette capacité nourrissante, Premier et Nouveau Testaments, mais cela suppose de laisser l’Esprit incarner en nous le verset pour qu’il devienne Parole, Verbe.
La meditatio est un exercice davantage intellectuel, discursif. Un objet de notre foi qui s’est présenté à notre esprit, nous tâchons dans la lumière de l’Esprit d’en faire le tour, pour en appréhender les conséquences et les bienfaits inattendus: l’Incarnation de Dieu en Jésus, la prédication du Seigneur, les signes qui l’accompagnent, le don de sa Vie à la Croix, sa Résurrection, son Ascension, mais aussi la maternité de Marie pour tous les baptisés, et ainsi de suite. Un ouvrage spirituel, d’un maître ancien ou d’une facture contemporaine, peut soutenir cet exercice en nous, qui ne doit jamais se clore sur lui-même, mais nous conduit plus loin.
Car lectio et meditatio nous ouvrent à l’oratio: la prière sans support, sans filet. Que se passe-t-il, quand il ne se passe rien, quand on est là, agenouillé devant Dieu, dans le silence et la solitude de sa chambre, et qu’on se veut à l’écoute de ce rien qui va finir par réveiller nos profondeurs? Beaucoup de choses, malgré nous, remontent alors à la surface consciente, de nos blessures enfouies mais doucement guéries par le Christ thaumaturge, beaucoup de souffrances qui nous empêchent d’être heureux et d’aimer les autres… L’agapè de Dieu se manifeste d’abord là, dans ce consentement au vide intérieur, la possibilité de l’amour communautaire naît dans cet enfoncement en soi.
Rechercher la solitude, c’est rechercher non pas seulement l’isolement, mais l’unité intérieure
Quant à la contemplatio, elle ne se commande pas! On la reçoit, quelquefois, plutôt rarement, par grâce. Autant on peut dire qu’on va, de tel moment à tel autre, se consacrer à l’oratio, autant il serait présomptueux de dire semblablement qu’on va « contempler » durant une même période. C’est un surcroît d’amour que Dieu nous offre, quand il veut bien, malgré nous, nous ouvrir à une dimension éclatante de son amour pour l’humanité, de sa volonté miséricordieuse d’aimer absolument tous les hommes, en se donnant à chacun jusqu’au bout du don…
Tout ceci est en nous l’œuvre de l’Esprit Saint. Si nous voulons consentir à cette part de la vie baptismale, une part fondatrice, il faut consentir en nous à sa puissance. La prière solitaire et silencieuse commence ainsi par une longue invocation à l’Esprit, par la demande réitérée de le voir venir et demeurer en nous pour y répandre ses dons de lumière et de paix. C’est lui qui nous conduit à la présence actuelle du Ressuscité, du Fils, qui nous greffe sans cesse à sa Vie par laquelle nous allons au Père. Si nos communautés chrétiennes deviennent ou redeviennent des communautés de priants, alors elles sont plus soudées que jamais dans l’agapè, qui est leur vraie sève, la relation qui les unit et les fonde comme communautés ecclésiales. Il n’y a pas de séparation entre la prière personnelle et la prière commune, au contraire – l’une appelle l’autre, pour le bien de tous et l’épanouissement de chacun.
Benoît LOBET, doyen principal de la Région pastorale d’Ath
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