L’oraison hésychaste : faire l’expérience de Dieu – Grégoire Palamas

Saint Grégoire Palamas

Notre père parmi les saints, Saint Grégoire Palamas (1296 – 1359), fut archevêque de Thessalonique et moine au Mont Athos. Il est l’un des plus éminents théologiens de l’Orthodoxie et le grand défenseur de la théologie hésychaste. C’est en tant que tel qu’il est fêté le deuxième dimanche du Grand Carême, la victoire de sa théologie étant considérée comme un second triomphe de l’Orthodoxie, après celui sur l’iconoclasme. L’axe de sa pensée est cet adage des Pères, selon lequel Dieu s’est fait homme, pour que l’homme devienne Dieu (Saint Athanase le Grand, et autres). Il résume une longue tradition à ce sujet, à laquelle il se veut fidèle et qui touche à la question la plus fondamentale du christianisme : celle du salut ou de la déification, la théosis de l’homme. Ses jours de fête dans l’Église sont à la fois le 14 novembre et le deuxième dimanche de Carême, appelé Dimanche de Saint Grégoire Palamas.

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  1. L’oraison hésychaste : faire l’expérience de Dieu
  2. Description de la méthode
  3. Le but de cette oraison
  4. Le corps comme demeure de l’Esprit
  5. L’union de l’homme à Dieu
  6. Dieu vient tout entier habiter dans l’homme tout entier
  7. Voir aussi
L’oraison hésychaste : faire l’expérience de Dieu

Si la grâce reçue par les mystères ou sacrements de l’Église ouvre la vie chrétienne sur une perspective éthique qui culmine dans la capacité d’aimer comme Dieu aime, elle offre encore une autre possibilité en cette vie, celle de voir Dieu.

Il ne saurait s’agir d’une connaissance extérieure. Il n’est pas question ici, par exemple, de la contemplation naturelle, par laquelle l’intelligence humaine parvient à déceler la marque de Dieu dans ce monde, c’est-à-dire à appréhender la raison des êtres créés par Dieu, la trace intelligible laissée par Dieu en chaque chose et qui permet de le reconnaître comme créateur de l’univers. Cette contemplation naturelle est certes une forme de connaissance de Dieu qui n’est pas sans valeur, mais ce n’est pas là encore une connaissance véritable de Dieu. Il en va de même de tout ce que l’on peut apprendre sur Dieu par les Écritures, les dogmes ou les confessions de foi (Triades, 1, 3, 48 et 2, 3, 18 et 40). Toutes ces connaissances sont bonnes, mais elles restent extérieures à Celui dont elles parlent. La théologie, au sens étymologique de discours sur Dieu, n’est pas encore la vision de Dieu. Dire quelque chose sur Dieu, ce n’est pas encore faire l’expérience intime et personnelle de Dieu (Triades, 1, 3, 42), expérience à laquelle l’homme peut se prédisposer par la prière pure ou méthode d’oraison hésychaste.

Le mot « hésychia » (en grec: ἡσυχία), qui est à l’origine du terme « hésychasme », signifie tranquillité, calme, repos, et qualifie tout à la fois un état de vie du moine hésychaste, la réclusion dans la solitude d’une cellule, et un état correspondant de l’âme, le silence obtenu lorsque l’activité des sens, de l’imagination et de l’intelligence s’apaise pour faire place à l’activité de l’Esprit Saint.

Description de la méthode

La méthode d’oraison hésychaste suppose pour sa mise en pratique un lieu tranquille, solitaire, à l’écart de toute agitation, la position assise et les yeux fermés. Mais on peut aussi garder les yeux ouverts et fixer son regard sur la poitrine ou sur le nombril comme sur un point d’appui. Elle implique en outre un apprentissage à la maîtrise du souffle. Il s’agit en fait de recueillir et d’apaiser l’intelligence au rythme de l’inspiration et de l’expiration. Dans un premier temps, l’intelligence doit suivre le mouvement de l’inspiration qui descend jusqu’au cœur et y être retenue en même temps que le souffle. Si l’on a les yeux ouverts, la fixation du regard sur la poitrine est une aide supplémentaire pour faire descendre l’intelligence dans le cœur. Quant à la fixation du regard sur le nombril, elle vise plutôt la lutte contre les passions de l’âme (Triades, 1, 2, 7-8). Dans un second moment, l’expiration permet un certain relâchement de l’attention jusqu’à la reprise du souffle. Cet exercice respiratoire s’accompagne d’une invocation, de la récitation mentale et continue d’une formule, telle que « Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu, ayez pitié de moi », ou sous une forme brève « Seigneur, ayez pitié ». Il faut un certain temps pour que cette invocation devienne tout à fait spontanée.

Le but de cette oraison

Quel est le but de cette méthode assez simple dans sa description ? Il s’agit pour le moine hésychaste de purifier l’intelligence, de lui faire trouver le repos, l’hésychia, en la détournant de toutes sensations, images ou conceptions mentales (Triades, 2, 2, 15), ce qui la prédispose à la participation aux énergies divines (Triades, 2, 1, 30). Pourquoi faire descendre l’intelligence dans le cœur en suivant le mouvement du souffle inspiré ? Parce que le cœur, déjà dans la Bible, est le siège, le lieu propre, de l’intelligence (Triades, 1, 2, 3), le lieu où la grâce du Christ se manifeste (Triades, 1, 3, 38) et où elle peut à son contact se surpasser elle-même dans l’extase, l’union à Dieu (Triades, 1, 2, 5). Pourquoi enfin invoquer continuellement Jésus-Christ en le suppliant d’avoir pitié ? D’une certaine façon, c’est toute l’histoire judéo-chrétienne de la rédemption qui se trouve récapitulée dans cette formule dont se souvient continuellement l’hésychaste en présence du Christ. Son intelligence acquiert dans un effort soutenu une prise de conscience ininterrompue à la fois de l’imperfection de sa nature et de la miséricorde divine, de la promesse de la grâce communiquée par le Fils dans l’Esprit. Tout ce qui vient le détourner de cette réalité salvifique est écarté par le souvenir de cette réalité qui sans cesse revient à la conscience jusqu’à ce que l’énergie de l’Esprit fasse une irruption soudaine dans le cœur et accomplisse effectivement ce qu’il avait en mémoire. Il s’agit là d’une démarche de foi, où l’intelligence, convaincue de sa faiblesse, se rassemble et se tourne vers le Christ, en attendant de lui le salut comme accomplissement d’une promesse faite à l’humanité. Ce faisant, l’intelligence ne le contraint pas à agir, mais se détourne consciemment de tout ce qui pourrait l’empêcher d’agir. Libre alors à l’Esprit d’intervenir dans ce cœur purifié, préparé à sa venue, c’est-à-dire digne de lui.

Lorsque Dieu répond à cet appel, lorsque l’énergie divine apparaît dans le cœur, l’intelligence purifiée devient à son contact spirituelle et lumineuse, les facultés créées se transforment et la grâce est transmise de l’âme au corps, qui lui aussi participe au salut. Les hommes déifiés parviennent alors à voir avec les sens et l’intelligence ce qui les dépasse (Triades, 3, 3, 10). Il se produit paradoxalement une sensation dépassant les sens et une intellection dépassant l’intellection (Triades, 3, 1, 35-36). C’est pour le saint la vision ou contemplation de Dieu. L’intelligence retrouve cette capacité originelle de voir son Créateur.

Le corps comme demeure de l’Esprit

Il y a, dans cette méthode, par son attention portée au corps, une rupture radicale avec l’hellénisme néo-platonicien qui enseignait que l’intelligence devait s’échapper du corps. Cette conception du corps comme une entrave de l’esprit, Palamas dit que c’est la plus grave erreur des philosophes Grecs.

Palamas insiste, dans son traité Sur les saints hésychastes, sur le fait que l’on ne doit pas chercher à faire sortir notre intelligence du corps, mais au contraire s’efforcer de maintenir, avec vigilance, notre intelligence dans notre corps. Le corps n’est pas mauvais : ce sont « les hérétiques qui disent que le corps est mauvais et qu’il est l’ouvrage du malin ». Il faut faire sortir la loi du péché du corps, et y faire « demeurer l’attention de l’intelligence ». Il cite à ce propos la parole de Saint Paul (Première Épître aux Corinthiens, 6, 19) : « Nos corps sont le temple de l’Esprit Saint qui est en nous ». Notre corps est donc appelé à devenir « naturellement la demeure de Dieu ».

Grégoire Palamas fonde la spiritualité hésychaste dans l’Incarnation du Verbe, dont le but était de permettre la déification de l’homme :

« Car si l’homme n’est pas capable de contenir l’incorporel au-dedans du corps, comment pourra-t-il porter en lui-même Celui qui s’est uni au corps, et qui avance, comme une forme naturelle, à travers toute la matière organisée, dont l’extériorité et la division ne saurait correspondre à l’essence de l’intelligence (en grec: νοῦς / noûs), si à la fin cette matière ne se mettait à vivre après avoir suscité en elle une forme de vie accordée à l’union ».

Nous pourrions dire que « le Verbe s’est fait chair » pour que l’homme entier – corps et âme – soit déifié :

« …portant toujours avec nous dans notre corps la mort de Jésus, afin que la vie de Jésus soit aussi manifestée dans notre corps. Car nous qui vivons, nous sommes sans cesse livrés à la mort à cause de Jésus, afin que la vie de Jésus soit aussi manifestée dans notre chair mortelle. » (Saint Paul, Épître aux Corinthiens, II, 4, 10-11.)

L’union de l’homme à Dieu

Le don déifiant accordé par l’Esprit constitue pour le voyant à la fois l’organe et l’objet de sa vision lumineuse (Triades, 3, 2, 14). Il est ce qui permet de voir et ce qui est vu, la lumière incréée de Dieu. Palamas dira que le voyant contemple ce qui est semblable à son mode de contemplation (Triades, 2, 3, 31), qu’il connaît Dieu en Dieu (Triades, 2, 3, 68) ou, en sens inverse, que c’est Dieu lui-même qui se contemple à travers l’âme et le corps transformés (Triades, 1, 3, 37). Ce qu’il veut dire à chaque fois, c’est que seule la lumière, l’énergie ou la grâce, parce qu’elle vient de Dieu et qu’elle est Dieu lui-même, peut nous faire connaître Dieu. Cette vision de la lumière par la lumière réalise l’union de l’homme à Dieu (Triades, 2, 3, 36) et lui permet de retrouver la ressemblance qui existait entre eux à l’origine. La progression dans cette contemplation de Dieu est infinie, même dans la vie future, non seulement parce que le désir de l’homme est sans limites à son égard, mais aussi parce que Dieu qui se laisse contempler est lui-même infini (Triades, 2, 2, 11). C’est une façon d’expliquer que l’homme est mis en présence d’une plénitude. Tout ce que l’homme recherche de meilleur en cette vie ou est à jamais capable de désirer dans l’autre vie s’y trouve en abondance.

Il faut savoir toutefois que, pour Palamas, si l’énergie de l’Esprit est effectivement une plénitude qui nous est offerte dès à présent, personne en dehors du Christ n’est en mesure de la contenir totalement. La participation à cette énergie omniprésente par une intelligence purifiée, semblable à un combustible pour le feu divin, est toujours partielle et variée (Triades, 3, 1, 34). Cette énergie de l’Esprit se manifeste indivisiblement en autant d’éclats qu’il y a d’hommes dignes de la recevoir et se laisse participer en fonction de la capacité réceptive de chacun d’entre eux. La même et unique énergie de l’Esprit est communiquée à des hommes différents, qui ne sont pas en mesure d’en bénéficier entièrement, mais bien en fonction à la fois de leur personnalité et de leur activité propres. Ce qui signifie que l’énergie divine ne supprime pas ce qui fait la singularité d’un homme, lorsqu’elle le déifie, elle s’y adapte sous la forme notamment des charismes de l’Esprit dont parle saint Paul (Première Épître aux Corinthiens, 12, 4-11 ; Triades, 3, 2, 13).

Dieu vient tout entier habiter dans l’homme tout entier

Si l’homme ne peut participer à la totalité de l’énergie de l’Esprit, il n’en reste pas moins vrai qu’il s’agit d’un don par lequel Dieu tout entier vient demeurer en l’homme tout entier (Triades, 3, 1, 27). Comment comprendre cette inhabitation de Dieu en l’homme ? Pour l’expliquer, Palamas se sert d’un terme emprunté à la christologie. Ce terme est l’enhypostasie, qui désigne le fait d’inclure dans l’hypostase, d’intégrer en sa personne même. En s’incarnant, le Verbe de Dieu a assumé la nature humaine en sa Personne divine, il l’a enhypostasiée. En sens inverse et grâce à cette incarnation de Dieu, la personne humaine peut assumer non pas la nature de Dieu qui est imparticipable, mais son énergie. La déification est une enhypostasie de l’énergie de l’Esprit, énergie qui est envoyée dans l’hypostase de l’homme pour y être contemplée (Triades, 3, 1, 9) en permanence (Triades, 3, 1, 18). Par ce don déifiant permanent, la sagesse et la vie éternelle sont en l’homme sans être séparées de Dieu (Triades, 3, 1, 35-36 et 38). Le saint acquiert par grâce un nouveau mode d’existence, par lequel sa personne est désormais composée d’un nouvel élément permanent qui vient s’ajouter à l’âme et au corps et qui est l’énergie incréée de l’Esprit (Triades, 1, 3, 43). Si bien qu’on peut dire de lui, en raison de la présence de l’Esprit, qu’il est incréé par la grâce (Triades, 3, 1, 31), qu’il est sans commencement ni fin (Triades, 3, 3, 8). L’intégration de ce nouvel élément, devenu constitutif de la personne humaine dans la déification, n’a pas pour effet la suppression de notre humanité. En devenant Dieu, nous ne cessons pas d’être homme, psychique et corporel. Au contraire, pour Palamas, en devenant Dieu, nous devenons pleinement homme. Par la grâce divine, notre nature humaine est menée progressivement à sa perfection : l’âme peut dès à présent voir Dieu, être animée par sa sagesse et sa bonté, et le corps reçoit le gage de son incorruptibilité future, un avant-goût de la Résurrection.

Au terme de ce parcours, le saint hésychaste acquiert donc un nouveau mode de vie caractérisé par la présence permanente de l’énergie de l’Esprit en lui. Cette expérience est pour lui une initiation aux mystères évangéliques. Mais cette initiation n’est pas donnée pour lui seul. Le saint hésychaste sera respecté, il recevra la confiance et l’affection d’autres hommes, tous ceux qui viendront à lui pour être initiés à leur tour à ces mystères, jusqu’à ce que l’expérience de ces mystères eux-mêmes constitue pour eux l’initiation (Tome hagioritique). La paternité spirituelle, par laquelle un saint est capable de transmettre ce qu’il a lui-même reçu, y compris la grâce (Chapitres 121), à d’autres hommes qui suivent ses conseils et son enseignement, est primordiale dans ce contexte. C’est par elle que Palamas fut, dans cette chaîne de transmission spirituelle, le fils spirituel des maîtres de l’hésychasme byzantin, comme celui avant eux des Pères et de tous les saints de la littérature biblique.

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