Kyrie eléison

Om, Mantra, Dhikr, Kyrie Eleison …La puissance des invocations sacrées

Qu’ont donc en commun les mantras – “ce qui protège l’esprit”–, la prière du cœur chrétienne, le dhikr soufi, le Kyrie eleison ou encore les chants et tambours chamaniques ?

Une même puissance intérieure, atemporelle et toujours opérative, qu’elle soit invocation silencieuse ou danse, tout autant qu’incantation chantée ou psalmodie. Un lien relie toutes ces pratiques traditionnelles : invoquer le Nom divin prépare l’ouverture du cœur, éveille la conscience et invite à une métamorphose intérieure.  Et, en raison même de sa forme synthétique adaptée à une époque de dissipation, cette approche spirituelle se révèle d’une étonnante actualité.

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Le Kyrie est le premier chant de l’Ordinaire traditionnel de la messe. Son usage est très ancien puisque certains pensent qu’il fut introduit vers l’an 320 par le pape Sylvestre. La fonction du Kyrie consiste à rendre manifeste la présence de Dieu sur le plan terrestre.

Au niveau sacerdotal : le Kyrie a été conçu comme un appel visant à pleinement incarner Dieu sur la terre. Nous pouvons traduire cette expression grecque par les mots : « Seigneur, faites-moi don de Vous » ou encore « Seigneur, répandez-vous ».

Au niveau individuel : le Kyrie correspond également à un appel et vise toujours la manifestation plénière de Dieu. Toutefois, il ne s’agit plus de la descente de Dieu sur terre mais d’amener l’homme à mieux conscientiser la présence en lui d’une étincelle divine qui le relie très intimement à Dieu (une partie de Dieu demeurant en lui) .

Au niveau psychologique : le Kyrie permet d’entrer dans une découverte de sa véritable identité, point de départ de toute croissance personnelle.

Traditionnellement, le Kyrie est formé de trois invocations répétées chacune trois fois (soit neuf invocations) :

Kyrie eléison (3x)

Christe eléison (3x)

Kyrie eléison (3x)

Originairement, ce chant servait toutefois de réponse à une litanie des saints. En effet, chaque fois que l’officiant adressait une invocation ou formulait une une intention, les fidèles répondaient Kyrie eléison.

Quoi qu’il en soit, cette formule fut ensuite incorporée à la messe bien que le nombre des invocations était au départ indéterminé. En effet, les fidèles la répétaient alternativement avec le Christe eléison jusqu’à ce que l’évêque fasse signe d’arrêter. C’est en Gaule, croit-on, que le Kyrie revêtit pour la première fois les neuf invocations. Cette répétition nonénaire rappelle sans équivoque les neuf chœurs des angéliques qui bénissent sans cesse l’Éternel. Or, certains liturgiques anciens en ont fait la remarque et cela est fort intéressant. En effet, sachant que ces neuf chœurs angéliques regroupent en quelque sorte les messagers de Dieu permettant à la lumière divine de parvenir à l’homme, la fonction du Kyrie consistant à rendre manifeste la présence de Dieu sur le plan terrestre est encore une fois mise en relief.

Le chant du Kyrie occupe la première place dans le cycle de l’ordinaire et sa signification profonde correspond donc nécessairement à la mystique du nombre 1. Les anciens l’ont toujours considéré comme étant la source et l’origine de toute réalité. Ainsi, Pascal affirmait : « Tout l’univers est contenu dans l’unité ». Aussi, il apparaît évident qu’en tant que premier chant de l’Ordinaire, le Kyrie se réfère à Dieu comme origine et finalité de toute chose.

Ajoutons également qu’à l’origine, les neuf invocations s’adressaient exclusivement au Christ. A partir du Moyen Âge toutefois, chaque groupe d’invocations fut associé à l’une des trois personnes divines pour mieux ainsi marquer la croyance en la Trinité. Le premier Kyrie eléison (répété trois fois) fut donc mis en rapport avec le Père. Les trois Christe eléison furent associés au deuxième aspect de la divinité, le Fils. Enfin les trois derniers Kyrie eléison furent consacrés, quand à eux, à la troisième personne de la Trinité, le Saint-Esprit.

A propos de la traduction

Il importe de préciser que la formule grecque du Kyrie est beaucoup plus explicite en ce sens que la traduction française. En effet, on traduit généralement cette injonction par les mots « Seigneur, ayez pitié de nous ». Mais cette version, qui insiste certes sur la nécessité d’adopter une attitude humble face à Dieu ne laisse pas suffisamment percevoir le sens profond de l’invocation. En effet, nous pourrions traduire plus éloquemment l’expression grecque Kyrie eléison par les mots « Seigneur, faites-moi don de vous » ou encore « Seigneur répandez-vous ». Cette traduction serait beaucoup plus proche du sens réel de l’invocation.

En effet, l’expression « Seigneur ayez pitié de nous » suggère trop souvent l’image d’un Dieu courroucé ou offusqué par la désobéissance de l’homme.  » Seigneur répandez-Vous » suppose au contraire une appel confiant visant à favoriser l’incarnation de Dieu sur la terre. Or c’est précisément là le véritable objectif de la liturgie amorcée par ce chant. Le Kyrie ne vise donc pas l’obtention du pardon d’un Dieu qu’on aurait offensé mais sa manifestation plénière afin qu’il anime toutes les réalités de ce monde. (1)

Enfin, on précisera que la formule grecque Kyrie eléison est celle qui a été utilisée traditionnellement (et l’est toujours) par les moines orthodoxes dans le cadre de la prière du coeur. En français, ayant eux aussi quelques réserves, dans le cadre de cette invocation, avec la dimension pénitentielle induite par le « prends pitié », ils ont préférer traduire par « Seigneur, fais-nous miséricorde ». Ceci-dit, la formule le plus répandue dans la prière du cœur est « Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu, aies pitié de nous, pêcheur ».

(1) : « Éveil de la conscience par la musique ». Charles-Rafaël Payeur.

Voir aussi :