Au cours des dernières années, la pratique du chapelet est tombé en désuétude. La principale critique porta sur le caractère mécanique et répétitif de cette prière. Or, il est évident que la répétition mécanique de cent cinquante-trois Ave entraîne l’établissement d’une certaine lassitude. Ayant oublié le caractère opératif d’une telle pratique, de plus en plus de croyants vinrent à penser qu’il valait mieux réciter la salutation angélique une seule fois avec une profonde dévotion plutôt que de la répéter cent cinquante-trois fois sur un ton monotone sans qu’aucune véritable piété ne soit présente.
Marie n’est pas sourde, pourrions-nous ajouter, et elle est sans doute apte à nous entendre dès la première salutation. De même, si nous percevons la prière comme une union intime et amoureuse avec le Christ ou avec Marie, le chapelet ne correspond pas en effet à ce genre de dévotion. Toute fois, il ne faut pas commettre l’erreur de penser que le chapelet est une pratique vaine ou inadéquate. Bien qu’elle suppose un climat de dévotion, la récitation du chapelet n’est pas un élan du cœur, mais bien une récitation mécanique. En d’autres termes, la récitation du chapelet n’est pas faite avec le cœur à la manière d’une déclaration d’amour, mais elle doit s’apparenter plutôt à ce qu’on appelle en orient la récitation d’un mantra. La récitation du chapelet est une pratique tout à fait analogue à la récitation mécanique de la prière hésycaste. Le mantra utilisé est cependant extrêmement particulier. En effet, il faut savoir que l’Ave possède dans sa forme latine une rythmique qui favorise un important changement d’état de conscience. Même récité en français, le « Je vous salue Marie » possède une rythmique bien spécifique qui produit également un effet vibratoire particulier au niveau des corps subtils (plans éthérique, astral et mental).
En effet, récité de manière répétitive, l’Ave engendre un effet psychique conduisant à la conscience à se libérer de l’emprise e la personnalité pour se tourner vers les mondes de l’esprit, les mondes intérieurs. Peu à peu, l’esprit plonge ainsi dans un état de conscience altérée où sa capacité de raisonner n’intervient plus. Rappelons-nous à ce propos l’exercice bien connu consistant à compter des moutons sautant un à un une clôture, à une même cadence. Cet exercice est réputé pour trouver le sommeil en période d’insomnie. C’est là un effet de la répétition sur l’état de conscience, le mental étant incité à déconnecter et à abdiquer. Aussi, la récitation répétitive et monotone du chapelet, vise à faire taire le mental afin que le silence, s’instaurant à l’intérieur de l’être, la vois de l’intuition, celle de Marie, puisse parvenir jusqu’à nous.
C’est pourquoi sa récitation doit adopter l’allure d’une belle psalmodie, et l’Église a donné une technique de récitation extrêmement précise mais trop souvent ignorée. Notons d’abord que le chapelet doit être chanté sur une seule note, comme le prescrit la tradition catholique. Cette note est habituellement soutenue par l’orgue pour en faciliter le maintien. La tradition précise en outre que cette note ne doit pas être choisie arbitrairement. En effet, la tonalité musicale est d’une très grande importance. Les anciens savaient que la vibration est essentielle dans la mesure où elle crée un support pour l’expansion de la conscience. Ainsi, l’Église préconisa de réciter le chapelet sur le mi, le fa ou le fa dièse qui s’avère être la notre la plus adéquate pour ce travail. Ces considération peuvent vous paraître étonnantes mais elles sont tirées de la tradition catholique romaine et l’hermétisme chrétien les considère comme très importantes.
Sachant ce qui précède, il ne reste plus maintenant qu’à signaler l’importance du rythme. Afin que l’exercice puisse être animé par un rythme adéquat, il convient de soigneusement respecter les médiantes, c’est-à-dire des arrêts au milieu de chaque partie. Ainsi, pour la première partie du Notre Père qui s’achève à « comme au ciel », une première pause est observée après « que votre règne arrive » et dans la seconde partie l’arrêt se fait après « à ceux qui nous ont offensés ». Pour la première partie du « Je vous salue Marie« , le premier arrêt se fait après le « Seigneur est avec vous » et dans la seconde partie, il se fait après « pauvres pécheurs ». Comme pour une psalmodie, on fera alterner les deux parties, la première étant dite par le côté gauche, la seconde par le côté droit, en inversant pour la dizaine suivante. On pourra aussi varier les attitudes, soit pour tous, selon les mystères évoqués, soit en faisant se mettre alternativement à genoux et debout, ou assis et debout, les deux chœurs. A la fin de la dizaine, tous se réunissent dans le chant du « Gloire à Dieu » (aire de Lourdes) ou pour sa récitation. Pour ces raisons, il est préférable que le chapelet soit récité à deux, ou par deux chœurs. L’alternance ainsi créée forme une véritable dynamique et génère un phénomène de balancement, également propice à favoriser le développement d’un état de conscience altérée.
Ainsi donc, à la lumière de ce qui précède, il apparait que la récitation du chapelet est une technique extrêmement précise dont le but premier est de provoquer une altération de la conscience. Il s’agit donc essentiellement d’une mécanique savante provoquant chez elui qui l’applique un véritable changement d’état de conscience. Toutefois et nonobstant ces considération, la récitation du chapelet n’exclut pas, comme nous l’avons vu, toute dévotion mais constitue bien davantage une technique de travail sur soi. Je vous invite donc à expérimenter cette méthode avec une personne avec laquelle vous partagez un lien privilégié. Après quelques pratiques, vous constaterez que cette récitation répétitive associée au phénomène d’alternance provoquent une véritable projection de la conscience. Vous serez alors en communion plus intime avec la nature intérieure des choses et des êtres. C’est une expérience fantastique. A partir de ce moment, vous pourrez comme un commencer un véritable travail spirituel sur le plan intérieur. La conscience de veille est en effet l’un des principaux obstacles à ce travail. De nombreux auteurs mystiques, saint Thomas d’Aquin et saint Augustin par exemple, ont affirmé cela avec autorité.
Ainsi, saint Tomas d’Aquin écrite dans sa Somme Théologique « cette aliénation des sens n’est pas, dans les prophètes, l’effet d’un désordre de nature, comme dans les possédés et le fous, mais résultat d’une cause ordonnée : soit naturelle, comme le sommeil; soit spirituelle, comme la véhémence de la contemplation, ainsi le cas de saint Pierre qui, en priant dans la chambre haute, « fut ravi hors de ses sens »; soit divine, selon cette parole d’Ezéchiel : « la main du Seigneur a reposé sur lui. ». Quand à saint Augustin, il déclare : « A moins de mourir en quelque sorte à cette vie, soit en quittant complètement le corps, soit en étant détourné et abstrait des sens corporels, personne ne peut être élevé à cette vision. ».
La récitation du chapelet s’avère en ce sens un outil particulièrement efficace. Une fois cet état de conscience atteint, l’aspirant ressent alors son corps d’une manière tout à fait différente. Souvent, le corps adopte une tendance à se balancer. Ce balancement est tout à fait normal. L’aspirant constate également qu’il possède une acuité psychique et spirituelle beaucoup plus précise. C’est à ce stade que la méditation en rapport avec les mystères associés au rosaire peut débuter. En effet, la récitation du rosaire suppose le mixage de différents thèmes de méditation bien spécifiques à la récitation des Ave : ce sont les quinze mystères qui sont en rapport avec la vie de Marie et de Jésus.
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